Ruptures de médicaments : pourquoi la préparation magistrale est un enjeu de santé publique
Depuis plusieurs années, les ruptures de médicaments se multiplient à un rythme alarmant, affectant directement la qualité de la prise en charge des patients. Qu’il s’agisse de traitements chroniques, d’antibiotiques ou de médicaments essentiels, ces pénuries fragilisent le quotidien des professionnels de santé et la continuité des soins. Dans ce contexte, la préparation magistrale apparaît comme un levier indispensable pour pallier certaines situations critiques. Pourtant, son cadre d’utilisation est aujourd’hui menacé par une lecture restrictive de la réglementation.
Une réalité de terrain : des ruptures de plus en plus fréquentes
En 2023, plus de 4 000 signalements de rupture ou de risque de rupture ont été enregistrés, selon les données de l’ANSM. Pour les pharmaciens, ces absences prolongées de médicaments génèrent une pression croissante. Adapter une prescription, chercher une alternative thérapeutique, expliquer au patient les délais d’attente ou proposer une solution de rechange : autant de tâches qui mobilisent du temps et de l’énergie.
Face à ces tensions, la préparation magistrale constitue une réponse personnalisée, centrée sur le besoin réel du patient. Elle permet, lorsque cela est justifié, de reconstituer un traitement en l’absence de spécialité pharmaceutique disponible sur le marché.
Un cadre légal clair… mais interprété différemment
La préparation magistrale est encadrée par l’article L5121-1 du Code de la santé publique. Elle peut être réalisée lorsqu’aucune spécialité pharmaceutique adaptée ou disponible n’existe. Pour être prise en charge par l’Assurance Maladie, la prescription et la réalisation doivent également respecter les conditions définies à l’article R163-1 du Code de la sécurité sociale.
Jusqu’à récemment, les officines, en particulier les préparatoires sous-traitants, s’appuyaient sur ces textes pour intervenir rapidement lors de pénuries de médicaments, dans le respect des bonnes pratiques de préparation.
Un recul réglementaire inquiétant
La Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) pour 2023 avait pourtant été perçue comme une avancée importante. Elle introduisait la possibilité d’harmoniser les pratiques en cas de tension exceptionnelle sur une spécialité, et de définir un tarif pour les préparations magistrales réalisées dans ces circonstances.
Cependant, lors d’une réunion regroupant la Direction Générale de la Santé (DGS), la Direction de la Sécurité Sociale (DSS), la CNAM et les syndicats représentatifs de la profession, un changement d’interprétation a été annoncé. Désormais, même en situation de rupture avérée, une préparation magistrale ne pourrait être prise en charge que si l’ANSM a formulé une recommandation explicite à cet effet.
Autrement dit, en l’absence de cette recommandation, le coût de la préparation ne serait plus supporté par l’Assurance Maladie, mais par le patient ou par le pharmacien lui-même.
Une décision aux lourdes conséquences
Cette interprétation, qui limite drastiquement le recours à la préparation magistrale en cas de pénurie, soulève de nombreuses interrogations. Elle va à l’encontre de la flexibilité nécessaire dans les pratiques de terrain et de l’esprit des textes initiaux.
Elle met également les pharmaciens en difficulté. Ceux qui s’efforcent de compenser les ruptures pour garantir la continuité des soins se retrouvent contraints d’abandonner certaines préparations, faute de cadre économique viable. Le risque est réel : une partie de la population pourrait se retrouver sans solution thérapeutique, faute d’accès à une spécialité disponible ou à une préparation de remplacement.
Le cas de la sertraline : un exemple emblématique
Face à cette nouvelle donne, plusieurs officines préparatoires sous-traitantes ont décidé, à regret, de suspendre la fabrication des préparations magistrales de sertraline. Ce médicament, utilisé dans le traitement de la dépression et des troubles anxieux, est actuellement en rupture prolongée. Jusqu’ici, la préparation magistrale permettait d’éviter une interruption du traitement pour de nombreux patients.
Mais dans le contexte actuel, continuer à fabriquer ce traitement sans possibilité de remboursement ni sécurité juridique devient difficilement soutenable.
Préparation magistrale : un outil à préserver
Il est essentiel de rappeler que la préparation magistrale est bien plus qu’une alternative temporaire. Elle constitue un outil thérapeutique précieux, en particulier pour les personnes souffrant d’allergies, d’intolérances, ou nécessitant des dosages spécifiques non disponibles dans le commerce.
Elle permet aussi de répondre aux besoins pédiatriques ou gériatriques, à travers des formes adaptées (solutions buvables, gélules à faible dosage, etc.), dans un cadre sécurisé et maîtrisé.
Appel à une clarification réglementaire
Pour préserver l’accès à la préparation magistrale en tant que levier de réponse aux tensions d’approvisionnement, il est impératif que les autorités sanitaires reviennent à une lecture plus pragmatique des textes.
Les préparatoires sont prêts à travailler dans le respect des règles et en transparence avec les institutions. Mais ils ne peuvent assumer seuls la responsabilité économique et juridique de solutions qui bénéficient, avant tout, aux patients.
Conclusion
Dans un système de santé en tension, chaque maillon compte. Les préparatoires pharmaceutiques jouent un rôle clé pour assurer la continuité des soins, en lien étroit avec les officines, les prescripteurs et les autorités. Les freiner dans leur action, c’est prendre le risque d’aggraver les effets des pénuries de médicaments.
Une réponse coordonnée et un soutien réglementaire clair sont aujourd’hui indispensables pour préserver cet outil de santé publique qu’est la préparation magistrale.